
Le souffle, source de musique, source de vie?
(RMS) Professeur de chant et consultant vocal, Robin De Haas met en pratique une méthode respiratoire venue des Etats-Unis dont il est devenu spécialiste. Il nous présente cette technique.
C’est une histoire qui commence dans les années 50 à New York. Un chef de chœur appelé Carl Stough se voit proposer l’opportunité de travailler en milieu hospitalier, au West Haven Veterans Hospital. L’idée des médecins qui l’invitent est que comme il parvient à développer le souffle de ses choristes, peut-être pourra-t-il développer le souffle de personnes atteintes d’afflictions pulmonaires. La rencontre avec les malades engendre le développement d’une manière complètement nouvelle de travailler; ce chef de chœur en vient à toucher la cage thoracique pour identifier là où le mouvement naturel ne se fait plus et corriger cela. Les résultats ne se font pas attendre, c’est comme si les malades accèdent à une partie de leur respiration qui n’était pas malade, mais simplement non utilisée jusque-là.
Au début des années 1960, l’engouement pour cette méthode devient très grand et Stough obtient plusieurs soutiens financiers avec l’objectif de former des gens à ce qu’il a nommé «coordination respiratoire». Malheureusement, il ne parvient pas à dire pourquoi il effectue tel mouvement sur un patient et tel mouvement différent sur un autre. Il butera jusqu’à la fin de sa vie sur son incapacité à expliquer en détail ce qu’il pratique.
Après sa mort, en 2000, Lynn Martin, son assistante, a une idée de génie. Elle se penche sur l’anatomie fonctionnelle et observe les différents liens entre les chaînes musculaires du corps et l’appareil respiratoire. Elle émet ce qu’on appelle des hypothèses fonctionnelles, qui proposent une interprétation de fonctionnement pour une partie du corps en relation avec d’autres parties du corps. Par exemple, la dissection lui permet d’identifier un lien anatomique précis entre la tonicité des membres inférieurs et des blocages du souffle. Elle parvient progressivement à poser des hypothèses pour l’entier des chaînes musculaires entourant le souffle et elle en tire une méthodologie de travail.
Une révélation
C’est alors que l’auteur de ses lignes entre en scène. Jeune chanteur, pédagogue en devenir, je rencontre Lynn Martin à la fin de ma troisième année d’HEMU en chant classique à Lausanne. Je ressens alors de nombreuses interrogations et frustrations, dans ma propre voix et dans mon enseignement. Je reste la plupart du temps perplexe par ce qu’on me recommande d’enseigner, que ce soit de «mettre la voix dans le masque», de «garder les côtes ouvertes», et ainsi de suite. Je vais donc voir Lynn Martin à New York et ce n’est rien de moins qu’une révélation pour moi. Là où je pensais avoir des difficultés insurmontables, elle m’indique précisément les parties de ma cage thoracique qui ne bougent pas bien et qui ne me permettent pas d’accéder à mon potentiel. En quelques leçons, j’ai enfin l’impression de voir le bout du tunnel et je comprends que toutes mes incompréhensions étaient fondées. Tout commence à se réorganiser et tout est précis, logique. A mon retour en Suisse, je commence immédiatement à appliquer ce qu’elle m’a appris et la méthode se développe au point de devoir former des gens pour répondre à la demande.
De fil en aiguille, nous créons la formation de praticiens, la méthode se fait peu à peu connaître internationalement. On peut se demander en quoi cette approche qui identifie et corrige de façon personnalisée les limitations de dynamiques thoraciques ou posturales peut aider les musiciens, qu’ils chantent ou jouent. Une hypothèse serait que la musique requiert une fluidité et une qualité de mouvement qui ne peut pas s’opérer si les micro-mouvements du système respiratoire ne se produisent pas pendant le geste musical. Pour le chant, l’équilibre des pressions sous-glottique et subglottiques est capital et il dépend en grande partie de la manière dont le système respiratoire gère la pression d’air en direction des cordes vocales. En d’autres mots, si l’on n’identifie pas ce qui coince lors des gestes respiratoires, ce qui se dé-coordonne, comment s’assurer que l’élève accédera au même type de gestes que ceux décrits, et qu’il n’en proposera pas qu’une vague imitation de surface, frustrante et passant finalement complètement à côté du sujet? A l’inverse, si l’on parvient à développer les coordinations de l’élève de l’intérieur en comprenant ce qui doit être corrigé chez cette personne-là, à faire fonctionner les choses au mieux, la rencontre pédagogique ne sera-t-elle pas enrichissante et formidablement diverse?
A l’heure actuelle, la méthode s’appelle «Coordination respiratoire M.D.H» et elle est employée par des chanteurs, des souffleurs, des pianistes, des violonistes, des sportifs, des chefs d’entreprise, des personnes lambda souhaitant améliorer leur souffle, des physiothérapeutes, des ostéopathes. Enfin, un partenariat avec la docteure Geneviève Nicolet, pneumologue, présidente de la Ligue pulmonaire vaudoise, est en cours d’élaboration pour aider les patients atteints de maladies pulmonaires.
Robin De Haas présente cette approche de la voix et du souffle dans son ouvrage: La voie de la voix. Genève, Favre, 2015. ISBN: 978-2-8289-1478-3
Photo: La musique requiert une fluidité qui ne peut pas s’opérer si les micro-mouvements du système respiratoire ne se produisent pas pendant le geste musical.