Editorial
A journée faite
Nous le faisons tous. Parfois mieux qu’avant, parfois moins bien, parfois plus assidûment, parfois moins. Beaucoup de domaines nécessitent un entraînement. Alors pourquoi, le terme «s’exercer» a-t-il pour moi un parfum d’inachevé, d’inaccompli, voire d’ennuyeux?
C’est qu’il en faut du temps à écorcher les études et cahiers d’exercices jusqu’à ce que nous puissions poser la partition d’un «vrai» compositeur sur notre pupitre. Dans mes souvenirs d’enfance, un vrai compositeur était celui dont j’entendais les œuvres lors de «vrais» concerts, pas uniquement dans des auditions scolaires. Je me disais alors: «Ça y est, j’y suis arrivée». Là-dessus, un violoniste doué me disait: «tu dois jouer Ševčík comme un air d’opéra.» C’est là seulement que la véritable signification du terme «répétition» se révélait à moi. Plus tard, une fois entrée dans la «vraie» vie active, j’ai appris à m’en sortir aussi avec des prototypes, des versions bêta, et à accepter qu’il n’y a rien de péjoratif à ce que des réalisations possèdent en elles une part d’inachevé.
Dans la musique cependant, comme dans le sport, la pression de la perfection est constante. Est-ce cela qui explique que les personnes qui pratiquent ces métiers répètent et s’exercent à journée faite? Celui qui n’a pas consciencieusement et précisément répété depuis son enfance n’a pratiquement aucune chance de réussir dans ces professions. Ceci est probablement vrai également dans d’autres domaines très spécialisés, peut-être plus souvent qu’on ne le pense. L’enfant qui bricole, dessine, construit, programme… avec passion et assiduité depuis toujours, trouvera probablement plus tard sa voie dans cette direction. Il est étrange alors que cette activité qui prend tant de temps aux musiciens n’ait pas de nom précis. Les Alémaniques utilisent le verbe «üben», littéralement s’exercer. Nous disons plutôt «répéter». Alors qu’il s’agit tout simplement de «faire de la musique». J’y penserai la prochaine fois que, en tant que violoniste amateur, je répéterai mon Ševčík.
Cordialement
Katrin Spelinova