Editorial
Qui l’a inventé?
La réponse à cette question est claire pour les bonbons Ricola, bien moins en ce qui concerne le hackbrett. Diverses régions du monde entier peuvent en revendiquer la paternité, car le hackbrett n’est pas une spécialité suisse, mais un phénomène présent dans la musique de tout l’hémisphère nord. L’article de Michel Nikita Pfister rappelle toutefois que les dernières études en la matière tendent à mettre en avant une origine située en Europe de l’ouest, plutôt qu’en Perse comme on l’a longtemps pensé.
Mais même si on parvenait à résoudre cette énigme, on n’aurait encore rien dit du son de cet instrument, de son essence en quelque sorte, comme le mélange d’herbes qui constitue la recette du bonbon cité plus haut. Plusieurs adjectifs apparaissent dans ce numéro. «Métallique» semble faire l’unanimité. Les qualificatifs de «pauvre», dans le sens de «maigre» ou de «limité», sont déjà plus contestés. «Vibrant», «irisé» sont aussi mentionnés, étonnamment car la production sonore sur le hackbrett a quelque chose de très physique.
C’est peut-être le terme «essentiel» qui définit le mieux le son de cet instrument, surtout parce que l’auteur précise: «non rhétorique». Un son qui vient directement du corps de l’instrument, de sa matière, sans artifice et sans additif. Le contact de marteaux sur des cordes est un geste minimal: «on voit comment se crée la musique», le dit bien Nicolas Senn dans son interview, et c’est cela qui le fascine. Un instrument d’une rare immédiateté, autrement dit. Est-ce pour cela que Luigi Gaggero – titulaire de la seule classe de cymbalum d’Europe de l’ouest – prétend que même les élèves qui ne savent jouer que deux notes doivent les faire résonner comme «une question de vie ou de mort»? Mais qui contesterait à ce son sa gaîté et sa discrétion?
Son nom lui-même diffère d’une région à l’autre. «Hackbrett» fleure bon le terroir. Le célèbre cuisinier Jamie Oliver propose sur Internet un «groovy hackbrett»: c’est le nom d’une planche à découper qui n’a rien de musical. On est bien loin du terme anglais de «dulcimer» qui vient de «douce mélodie», auquel on ajoute l’adjectif bien moins poétique «hammered», pour un ensemble aussi ambigu et fascinant qu’un bonbon aux herbes.