Editorial
Magicienne
A l’école, on nous faisait d’abord découvrir des lettres. Puis on apprenait des mots constitués des lettres déjà apprises. Mais moi, à ce moment-là, je voulais en savoir plus. J’ai pris un livre pour enfants sur l’étagère et pour la première fois, je ne me suis pas intéressée aux images, mais au texte qui les accompagnait. Et ça a marché: les lettres se sont mises à parler. Elles racontaient une histoire dans ma tête. J’étais devenue magicienne!
Avez-vous vous aussi ce genre de souvenirs de votre découverte de la lecture? Ou peut-être – ce qui correspond mieux à notre thème du mois – des souvenirs liés à la lecture de musique? Moi, je vous parle de livres, parce que je ne suis pas de celles qui ouvrent une partition et entendent spontanément la musique en polyphonie.
Recueillir la musique sous forme de signes, muets, de sorte qu’elle puisse être recréée à des kilomètres de là, ou des siècles plus tard est une incroyable performance culturelle. Chaque partition renferme en son sein un déluge de sons qui ne demandent qu’à en sortir.
Plusieurs articles de ce numéro s’intéressent de plus près à ce processus. Aujourd’hui, l’ordinateur y joue bien sûr un rôle. Il facilite grandement l’écriture et la mise en pages des partitions. Pour le débutant, les logiciels d’édition musicale ont quelque chose d’ésotérique. Il n’y a rien de magique là-dedans, il faut juste apprendre à les maîtriser. Et quand on atteint ce stade, on se sent un peu comme l’apprenti sorcier, comme si des esprits apparaissaient qui faisaient une partie du travail à notre place.
Etonnamment, plusieurs compositeurs renoncent sciemment à utiliser ces outils et continuent à écrire leurs partitions à la main. Ils ne veulent pas être tenus en otage par des logiciels qui prennent des initiatives, qui perturbent un ordre préétabli sur lequel est basé leur processus compositionnel. Ils ne veulent pas «invoquer des esprits dont ils ne pourront plus se débarrasser», comme le disait Goethe dans… l’Apprenti sorcier.
Cordialement
Pia Schwab