Editorial
RMS 03/2014
Mettez-y du cœur!
«L’enfer est rempli de musiciens amateurs.» Vous ne souscrirez plus à cette blague de George Bernard Shaw après que vous aurez lu ce numéro. L’a-t-il écrite parce qu’en tant que critique musical, il avait dû trop de fois rédiger le compte rendu de mauvais concerts d’amateurs? Je n’en sais rien, mais il vaut la peine de situer cette phrase dans son contexte.
Le Don Juan de Shaw discute en enfer avec le diable. Le lieu n’est pas lugubre, il est consacré aux plaisirs superficiels. D’une manière techniquement douteuse, le diable sort quelques-unes des répliques exubérantes du Don Giovanni de Mozart: «Vivan le femmine! Viva il buon vino! sostegno e gloria d’umanita.» Et le diable de regretter que Don Juan ne chante plus. Le dialogue se poursuit:
Don Juan: «de quoi vous plaignez-vous? L’enfer est rempli de musiciens amateurs: la musique est l’alcool des damnés. Est-ce qu’une seule âme perdue ne pourrait pas être abstinente?»
Le Diable: «vous osez critiquer le plus sublime des arts?»
Don Juan (avec dédain): «vous parlez comme une femme hystérique qui ferait des courbettes à un violoneux.»
Ce passage de la comédie L’homme et le surhomme (1903, 3e acte) montre deux facettes péjoratives du terme «amateur» que nous n’aborderons pas dans ce numéro: l’interprétation maladroite et sans âme de musique, ainsi que la surévaluation de ses propres capacités. Nous ne dirons pas plus si le premier de ces sens négatifs est applicable aussi aux musiciens professionnels, et si le deuxième est uniquement réservé aux dilettantes. Ce n’est pas notre propos. Il me semble que la seule chose qui compte, c’est de faire de la musique avec du cœur — dans une juste mesure.
Et à ce propos pour conclure: La Revue Musicale Suisse vit en ce moment un passage financièrement difficile, raison pour laquelle le comité a lancé une action de solidarité que j’aimerais que vous preniez à cœur. Merci de bien vouloir jeter un œil au message annexé.
Cordialement.
Katrin Spelinova