Conversation avec Joël-Luc Cachelin (FFM 2023) 
Un regard dans la fabrique du savoir

Un regard dans la fabrique du savoir

Anicia Kohler, trad.: André Carruzzo, 18.10.2022

Joël-Luc Cachelin se qualifie de « voyageur dans le temps ». En tant qu’économiste et
historien, il étudie avec son laboratoire de réflexion «Wissenfabrik» («Fabrique du savoir»)
des sujets qui font et feront bouger la société aujourd’hui et demain. En janvier 2023, à
l’occasion du Forum sur la formation musicale, il présentera un exposé consacré à la
formation et à la transformation numérique.

Vous vous intéressez à l’avenir - selon vous, dans quelle mesure la transformation numérique va-t-elle changer les écoles de musique? A quoi ressembleront les écoles de musique en 2040?
Je pense qu’il n’y aura pas énormément de changements. Peut-être que cela se passera comme dans le domaine de la psychothérapie, où l’on nourrissait beaucoup de craintes à la perspective de scénarios hybrides. Avec la pandémie, on s’est rendu compte qu’il était possible de proposer les prestations en ligne. On pourrait aussi observer une tendance à l’autodidactisme. On apprend soi-même et on cherche des idées sur des plateformes comme YouTube. Mais le besoin de contact humain restera toujours présent.
Outre la numérisation, d’autres tendances influenceront la formation musicale - je pense notamment aux restrictions financières. La question qui se posera à l’avenir sera de savoir comment se présenteront les budgets du canton ou d’une ville, et comment auront évolué les structures familiales. Le changement démographique est certainement aussi un sujet important. Les personnes deviennent plus âgées, et les futurs retraités et retraitées éprouveront le besoin de se former. Pourquoi pas aussi dans le domaine de la formation musicale ?

Vous soulevez un point intéressant avec la formation musicale pour adultes. Le problème est qu’il existe certes des subventions, d’une conception variable selon les cantons ; mais elles sont réservées aux enfants et aux jeunes, de sorte que l’enseignement revient très cher pour les adultes.
C’est la question des restrictions financières. Qu’est-ce qu’une société pourra et voudra se permettre à l’avenir. Il y a de nombreux autres domaines où nous devons investir en tant que société, par exemple pour réduire les risques et les dommages liés au changement climatique. Au vu de cette concurrence en matière de dépenses, il convient de se demander dans quelle mesure une société sera prête à investir dans la créativité, dans l’artisanat, dans les aptitudes artistiques.

Que répondriez-vous à quelqu’un qui vous dit qu’il faut faire des économies dans le domaine de la culture?
Du point de vue de l’historien, deux points me viennent à l’esprit. Premièrement, il s’agit de poursuivre notre histoire à l’avenir en préservant et en réinterprétant les techniques et biens culturels. Deuxièmement : plus une civilisation se numérise, plus les machines se multiplient dans notre société et dans notre monde du travail. Les humains peuvent se distinguer d’elles par leurs capacités créatives. Même si des intelligences artificielles possèderont aussi des capacités créatives, l’humain restera nécessaire pour poser des questions et esquisser l’avenir.

L’égalité des chances est une question importante dans le domaine de l’éducation musicale - il ne faut pas que seuls les privilégiés puissent se former musicalement. Quelle est votre appréciation de cette problématique?
Il s’agit de savoir s’il y a une volonté politique de changer cela. Le besoin d’apprentissage tout au long de la vie pourrait encore aggraver la situation. Si l’on doit se perfectionner en permanence, cela soulève la question de savoir qui peut se le permettre, qui a pu économiser suffisamment, qui peut quitter le processus de travail pour recommencer des études. Dans la société du savoir créative, les effets «winner takes it all» jouent un rôle. Les personnes avisées, belles, bonnes, talentueuses en profitent particulièrement. Dans le tennis, parmi les dessinatrices ou les danseuses, rares sont les personnes qui peuvent bien vivre de leur travail. Et celles qui ont du succès reçoivent le plus de demandes, le plus de likes, obtiennent les meilleures places dans les moteurs de recherche. Le monde politique et la société civile ont la possibilité d’agir contre cette tendance.

Vous avez achevé récemment un travail de master en histoire consacré à l’innovation en Suisse dans les années 1950. A quel point était-on innovant à l’époque?
On était en tout cas très intéressé par l’avenir, et on avait l’imagination et le courage de réinventer beaucoup de choses. C’était l’époque d’après-guerre et il s’agissait de reconstruire des pays entiers, c’était le début de la consommation de masse, de la voiture, du tourisme de masse. Beaucoup de choses ont changé à l’époque. Aujourd’hui, nous connaissons les effets secondaires et les risques de la croissance et regardons avec inquiétude vers l’avenir. Mais nous n’osons pas repenser les choses, parce que nous ne voulons pas compromettre notre prospérité. C’est pourquoi nous restons immobilisés dans les avenirs qui ont vu le jour dans les années 1950: la maison individuelle, la viande bon marché, l’énergie nucléaire, la voiture. Ces acquis étaient cool à l’époque, mais deviennent de plus en plus problématiques aujourd’hui.

Estimez-vous que l’une de vos tâches est d’encourager à l’optimisme pour l’avenir?
Oui, absolument. Pour revenir au début de notre entretien: la digitalisation présente beaucoup d’avantages, elle permet de créer de nouvelles relations, d’apprendre de nouvelles choses. Il en va de même pour la durabilité. Pour l’instant, c’est encore la peur d’une interdiction ou d’un changement de comportement qui domine chez beaucoup - par exemple le fait de ne plus pouvoir manger de viande. Mais la recherche d'une plus grande durabilité crée aussi de nouveaux marchés et de nouveaux emplois.

 

Forum sur la formation musicale 2023
Les 20 et 21 janvier prochain aura lieu le dixième FFM. Cette manifestation de deux jours s'adresse en particulier aux directrices et directeurs d’écoles de musique de toute la Suisse (mais elle est bien sûr aussi ouverte à toute autre personne intéressée). La première journée sera consacrée à la thématique de la transformation numérique, la deuxième à celle de l’inclusion dans la formation musicale. Les exposés et les débats publics se tiendront en français et en allemand avec traduction simultanée d/f et f/d. Vous trouverez des informations supplémentaires ainsi que le formulaire d’inscription sur le site web de l’ASEM.

 

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