
Student/in als Autor/in seines/ihres Curriculums
La Conférence des Hautes Écoles de Musique Suisse a organisé le vendredi 21 octobre son Tag der Lehre qui a réuni à Lausanne les directions élargies des hautes écoles de musique du pays.
Antoine Gilliéron — La notion de liberté au sein des cursus d’enseignement musical supérieur helvétiques a été questionnée par le truchement d’exemples concrets : cet article entend faire office de synthèse des discussions en présentant les résultats de cette journée d’échange pédagogique.
La conférence d’ouverture donnée par Elisabeth Gutjahr, rectrice de la Mozarteum de Salzbourg et vice-présidente de l’Association Européenne des Conservatoires, a mis en exergue de grands axes réflexifs qui ont imprimé la coloration des débats qui ont suivi :
Vision et valeurs : qu’est-ce qu’une personne libre (à tous les niveaux) ?
Didactique : quelle est notre idée de l’apprentissage ?
Ingénierie pédagogique : quelle structure aux curriculums et enseignements ?
Institutionnel : quelle relation entre des individus libres et le collectif qui agit aussi librement ?
Évaluation et standards : quelle réussite à l’apprentissage ?
Équilibre : quel degré de liberté insuffler dans les cursus d’études ?
À l’instar des articulations du corps humain avec des mobilités différentes (un poignet ne bougeant par exemple pas de manière similaire à une épaule ou à un cou), la question du curseur a d’emblée été posée, et ce en contextualisant ce qu’il est possible ou non de réaliser dans le cadre de Bologne, à la lumière notamment des apports philosophiques de Jacques Rancière, auteur du livre « Le maître ignorant, cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle ».
La cinquantaine de participant-e-s à cette journée a ensuite été répartie dans huit focus groups. Ceux-ci ont discuté durant la matinée sur les enjeux et bénéfices d’une structuration plus libres des curricula, que ce soit sous l’angle académique (tant du point de vue pédagogique qu’administratif) ou sociétal (selon l’impact social et l’employabilité recherchée).
Les résultats quant aux bénéfices ont mis en évidence ces éléments : changement de paradigme nécessaire ; responsabilisation administrative des étudiant-e-s renforcée ; esprit d’ouverture diffusé dans tous les secteurs de la communauté ; relations plus horizontales ; allègement de la charge administrative institutionnelle ; employabilité potentiellement accrue ; liens avec d’autres partenaires institutionnels facilités ; renforcement des projets concrets sur le terrain ; l’inclusivité et la diversité mises au cœur du dispositif d’enseignement ; transformation des crédits ECTS en du contenu encore plus artistiquement voire poétiquement libre ; moins de problématiques de ressources humaines liées à des missions porteuses de plus de sens ; affranchissement du cliché d’« écoles-musées » pour tendre à devenir des plateformes toujours plus vivantes ; pédagogie pouvant devenir encore davantage novatrice.
À la suite d’une présentation de modèles déjà existants à la School of Commons de la ZHdK, Open Creation de la Musik-Akademie Basel et Freiform de la FHNW, le but des focus groups de l’après-midi a été cette fois de se concentrer sur les implications concrètes et les limitations à davantage de souplesse curriculaire, selon les mêmes deux angles du matin (i.e. académique [pédagogie/administration] et sociétal [impact global/employabilité]).
Le bilan quant aux limitations se présente ainsi : description délicate des modules libres pour ne pas perdre la qualité ; vigilance au niveau de la mobilité internationale (Erasmus) ; logiciels de gestion académiques pas encore suffisamment agiles ; évaluation des formes libres qui est à réinventer ; caractère évolutif et provisoire de l’organisation qui peut déstabiliser ; logique d’auto-entrepreneuriat au niveau de la société qu’il s’agit de questionner ; nécessité de former à la liberté (avec progressivité et différenciation) ; gestion des ressources humaines qui pourrait se complexifier ; individualisation des cursus plus compliquée a priori que la généralisation ; compétences métier à injecter aussi dans les formes libres en se rapprochant des milieux professionnels.
Enfin, une synthèse de la journée a vu les étudiant-e-s présent-e-s et Philippe Dinkel, ancien directeur de la HEM de Genève-Neuchâtel, clôturer ce Tag der Lehre. Les conclusions ont permis, tout en faisant l’éloge de l’artisanat, de la discipline et des excellences, de mettre en relief les tensions que doivent affronter les hautes écoles de musique du pays : patrimoine et création ; individu et collectif ; institution et innovation ; processus d’apprentissages et apprentissages spontanés ; dignité du métier de musicien-ne et autonomie ; créativité et assurance qualité ; autorité et horizontalité ; institutionnel et non-institutionnel ; tradition et nouveaux métiers ; fixité et fluidité ; marché du travail et volonté de changer ou réparer la société.
Le concept de liberté remontant à la Grèce antique et ayant essaimé dans tous les courants philosophiques depuis, il impose la responsabilité, la maturité, la confiance, l’esprit critique et le respect, ce qui est valable pour tout segment de la société. Les solutions pour les hautes écoles de musique suisses pourront alors se décliner notamment autour des idées de life long learning, d’une meilleure sélection des étudiant-e-s en ayant conscience des profils recherchés, des identités institutionnelles affinées, du développement de communautés artistiques élargies (physiquement et numériquement), de l’encouragement accru des initiatives estudiantines, ainsi que – même si « l’art naît de contraintes, vit de lutte, meurt de liberté » selon André Gide – de la… flexibilisation des parcours d’études.